Dossier : Macworld
La future disparition des Xserve du catalogue Apple pose à nouveau la question de la position de la firme sur certains de ses marchés de niche, dont certains s’avèrent être de grosses niches. Cette décision va à contre-courant de l’Histoire, qui voit actuellement la montée en puissance de la virtualisation des services informatiques, leur dématérialisation et le formidable potentiel du marché des contenus provenant du «
cloud ».
Steve Jobs peut-il vraiment sauter cette marche et
Apple se permettre de rater ces marchés ?
C’est à une véritable bronca qu’il a été possible d’assister à l’occasion de la suppression annoncée du
Xserve du catalogue du constructeur californien, annoncée pour le 31 janvier prochain. D’un point de vue purement technique, le serveur 1U de la firme de Cupertino n’avait plus beaucoup d’éléments de différenciation depuis son passage aux processeurs x86. De fait, si la version du
Xserve équipée du processeur G5 avait connu une certaine traction en raison des performances qu’il dégageait pour un prix relativement faible, l’utilisation de processeurs Xeon dans le modèle qui l’a remplacé dès août 2006 a fait disparaître cet intérêt.
Dans le même temps, les efforts d’
Apple sur le marché des entreprises n’ont pas véritablement été en se renforçant.
Cupertino est ainsi passée à côté de la montée en puissance de la virtualisation des systèmes d’exploitation. Il se dit que
Bertrand Serlet, le patron du développement des logiciels au sein d’
Apple, a mis longtemps à percevoir les occasions qu’
Apple pouvait tirer de la virtualisation de son système d’exploitation.
À sa décharge, il avait bien d’autres fers au feu et notamment l’iPhone. La montée en puissance du smartphone lui a finalement donné raison et a permis à
Apple de rentrer à nouveau dans l’entreprise, par une autre porte, du côté des utilisateurs. Ces millions de terminaux désormais utilisés par les cadres des entreprises ou des institutions ont eu un impact bien plus important sur l’image d’
Apple sur ce marché en trois ans que les quelques dizaines de milliers de
Xserve vendus durant les 8 années de sa commercialisation.
Xserve mort, exit Mac OS X Server ? La disparition programmée du
Xserve fin janvier prochain permet-elle de conclure à la future disparition de la version serveur de Mac OS X ? Si
Steve Jobs a bien donné un aperçu de
Lion, Apple est restée muette sur la version serveur. Dans les faits, plusieurs scénarios peuvent être considérés.
Le premier serait l’abandon pur et simple de Mac OS X Server. Après tout, compte tenu de la faible pénétration de ce système d’exploitation dans les entreprises et les institutions, la suppression des ressources nécessaires pour le développer et le commercialiser ne serait, au premier abord, pas si douloureuse.
Bien que la version serveur de Mac OS X ait été la première développée juste après le rachat de
NeXT par
Apple en 1997, sa présence était initialement justifiée par la présence de
WebObjects, son serveur d’applications orientées Web, le tout premier du genre, et qui a ouvert la voie aux solutions
JBoss,
IBM, Oracle ou autres
BEA.
WebObjects a connu un certain succès au milieu des années 90, notamment adopté par les boutiques en ligne de Dell, ou par
Disney et la
BBC. Abandonné à l’open source depuis 2007,
WebObjects continue son bonhomme de chemin, faisant tourner certains des services les plus critiques, à l’instar de quelques-uns des services en ligne d’
Apple, ou le suivi des colis de l’
US Postal Service.
Mais
Mac OS X Server réunit surtout sous une interface d’administration simple une quantité incroyable de services «
gratuits » qui rendent cet OS server particulièrement attractif, surtout dans les PME, les petits départements de grandes entreprises ou certaines institutions comme les établissements scolaires. On y trouve en effet un serveur de calendriers, de carnets d’adresses, de messagerie instantanée
iChat, ou de mails. Rien de très impressionnant, si ce n’est que ces services sont inclus dans une version clients illimités proposée à 499 € TTC.
À l'inverse, il faut aligner la bagatelle de 700 € pour obtenir une version 5 clients de
Windows Server 2008, livrée sans les fonctionnalités mentionnées ci-dessus. À celles-ci faut-il d'ailleurs ajouter quelques fonctions accessoires présentes comme un serveur de wikis, un serveur d’accès à des terminaux mobiles, un hébergement Web et un serveur de podcasts. Rien de moins.
Outre certaines entreprises, les établissements scolaires ont commencé à bien comprendre le parti qu’ils pouvaient tirer de ce paquet de logiciels, au tarif proche de ce que propose le libre et dont l’utilisation permet de réduire très sensiblement les coûts de possession, de passation, de non-qualité ou de rupture qui se cachent derrière l’achat de tels produits.
La voie de la licence Le second scénario concernerait la possibilité pour
Apple de tirer parti à bon compte des efforts dévolus pendant plus de dix ans à son activité serveur. Il suffirait en effet à la firme de commercialiser Mac OS X Server en OEM auprès de constructeurs de serveurs comme Dell, HP ou d’autres pour offrir une solution de secours à bon compte à ses actuels clients utilisateurs du
Xserve. Au passage, la firme se mettrait sur un pied d’égalité avec les solutions concurrentes et gagnerait à être comparée si elle garde le même niveau de prix. Il s’agirait, au passage, d’une bonne stratégie d’affaiblissement de la compétition sur les segments des petites et moyennes entreprises et de certaines institutions.
Mac OS X Server gagnerait d’ailleurs à bénéficier d’un App Store façon Mac OS X Lion, intégré à son interface d’administration, pour faire l’acquisition de logiciels serveurs. Ceux-ci, généralement proposés en
Java, pourraient ainsi être acquis, installés, déployés sur n’importe quelle machine de l’entreprise et administrés depuis cette version serveur. Au passage, les outils intégrés seraient susceptibles de pousser les nouveaux clients utilisateurs à faire l’acquisition d’autres produits
Apple.
Dans ce scénario, il est également possible d’imaginer un volet «
virtualisation » qui ferait qu’Apple change les termes de sa licence d’utilisation afin de laisser ses clients faire tourner une ou plusieurs instances de Mac OS X Server sur des serveurs équipés de machines virtuelles, quitte à modifier la tarification pour prendre en considération ce type d’usage. La virtualisation n’est autre qu’une façon d’optimiser l’utilisation des machines achetées, afin de tirer parti des 80 s% de temps de disponibilité dont chaque machine dispose généralement constamment. La mise à disposition de l’OS serveur d’
Apple aux
DSI ne manquera pas de les intéresser, eux qui se rendent désormais compte de la nécessité de déployer des environnements hétérogènes pour assurer la continuité de leurs services.
Des services dans le nuage Le troisième scénario possible concernerait la mise à disposition de services similaires à ceux fournis jusqu’ici par Apple dans son serveur, mais en tant que service fonctionnant directement depuis Internet. Ce type d’approche, très en vogue actuellement car elle permet aux entreprises d’externaliser des services lourds à supporter, transforme des coûts fixes en coûts variables. Il s’agit de payer un certain nombre de services (
au moins les mêmes que ceux inclus jusqu’à aujourd’hui dans Mac OS X Server), et de les utiliser sans se soucier des questions de coûts de consommation finaux habituels auxquels les entreprises doivent faire face.
Dans ce scénario,
Apple proposerait des abonnements à ces services, et les particuliers ou les entreprises les contracteraient de la même manière qu’ils le font pour l’eau, l’électricité ou le chauffage. La firme s’est essayée à ce type de service depuis bien longtemps avec
iTools devenu
Mac.com puis
MobileMe. Elle sait donc gérer des centaines, voire des millions de clients simultanément, même si la qualité de service de
MobileMe, pour ne citer que lui, n’a pas toujours été au rendez-vous
Une activité de services et de location de l’utilisation de logiciels depuis le nuage reposant sur certains des outils phares de l’activité serveur de la firme serait susceptible de lui donner encore plus de visibilité dans l’entreprise et auprès des particuliers, à condition de pouvoir proposer une variété d’offres allant des nuages dits publics aux nuages «
privés ».
Et c’est sans doute là que le bât blesse pour
Apple : un tel service nécessiterait l’utilisation de serveurs lui permettant de battre ses concurrents à plate couture sur les tarifs — du moins à dégager une marge largement supérieure à ce qu’ils sont susceptibles d’offrir. Or pour le moment, tous les acteurs sont peu ou prou sur un pied d’égalité : ils utilisent des outils similaires et ont des coûts de fonctionnement comparables. Il y a bien quelques nouvelles offres de serveurs qui proposent de diminuer de moitié ces coûts… Rien de bien fabuleux pour se démarquer. En fait, la pièce manquant à
Apple pour entrer sur ce créneau, c’est un nouveau serveur…
Vers un Cloud Server ? Le vrai problème qui bloquerait une progression exponentielle d’
Apple sur ce créneau tient plutôt à sa capacité de faire tourner un service qui lui coûterait près de dix fois moins cher que ceux de ses compétiteurs.
Il s’agit d’ailleurs actuellement d’une des quêtes les plus concurrentielles de l’industrie de l’informatique.
Intel et
AMD sont d’ailleurs en train de voir arriver de nouveaux acteurs sur le marché de ces serveurs pourtant habituellement considéré comme une chasse gardée. Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle :
Google a très vraisemblablement fait l’acquisition d’
Agnilux en avril dernier pour concevoir de nouveaux serveurs moins gourmands en énergie.
ARM, le concepteur des processeurs pour terminaux mobiles, grand spécialiste des puces à faible consommation d’énergie utilisées dans l’iPhone, l’iPod ou l’iPad, ne cache pas vouloir proposer des versions pour serveurs de ses produits. Et justement, un processeur
ARM 64 bits serait dans les tuyaux et devrait arriver sur le marché le trimestre prochain.
Mais quels constructeurs auraient l’idée saugrenue d’utiliser ces puces dans de nouveaux serveurs à très faible consommation d’énergie ? Surtout quels OS sont susceptibles de tourner sur un serveur doté de processeurs
ARM ? Hormis quelques versions de
Linux, seul
Darwin, l’OS qu’on trouve comme fondation de Mac OS X ou d’iOS a été porté sur ce type de processeur. D’ailleurs, si les sources de
Darwin sont disponibles pour toutes les versions de processeurs sur lesquels il tourne, seule la version du code source pour
ARM n’a jamais été livrée par
Apple…
De là à supputer un éventuel portage de Mac OS X Server, il n’y a qu’un pas, que nous nous empresserons de franchir pour les besoins de la démonstration. Car il s’agit bien encore une fois d’une histoire de processeurs à laquelle nous nous trouvons confrontés : en 2008,
Apple avait fait l’acquisition de
PA Semi pour sa propriété intellectuelle.
PA Semi disposait alors d’une puce capable de diviser par dix les coûts de possession de serveurs, la
Pwrficient PA6T. Conçue comme un
SoC (système sur puce), elle s’appuyait sur des astuces d’optimisation de son fonctionnement pour tourner à moins de 10 W, là où les puces de l’époque nécessitaient près de 100 W. Pour ne rien gâcher, la
Pwrficient était utilisable tout autant dans un terminal portable que dans un serveur ou une télévision.
En avril 2010,
Apple fait l’acquisition d’
Intrinsity, autre concepteur de processeurs, cette fois-ci des
ARM. Le savoir-faire d’
Intrinsity se situait lui aussi sur le terrain de l’excellence de la gestion de l’énergie dans ces puces. Le processeur A4 d’
Apple semble être sorti presque tout droit des laboratoires d’
Intrinsity, et la firme ne se prive pas de l’utiliser partout où elle peut : même l’Apple TV en a été dotée. De fait, tous les produits
Apple qui ne sont pas des « ordinateurs » grand public au sens classique devant tourner sur processeurs x86 (Intel ou AMD) se sont vus équipés de puces A4.
Il ne manquerait plus à la firme de Cupertino que de proposer un nouveau type de serveur pour finaliser l’adjonction de ce processeur à tous les produits qui peuvent l’embarquer sans que cela ne soit un frein pour ses ventes.
La firme de Cupertino va-t-elle concevoir une offre de serveurs tournant sur processeurs ARM et dotée d’un iOS Serveur Lion ?
La commercialisera-t-elle ou se la réservera-t-elle pour un service cloud, à l’instar de ce que fait Google avec ses serveurs sur mesure ? Difficile de prédire aujourd’hui le scénario choisi par
Cupertino. Mais toutes les portes semblent encore ouvertes…
(Source : Macworld)